Existential Chris un farfouillis perso

Anatomie d'un cerveau tout en vitesse

Georgia O'Keeffe, Abstraction Blue

Georgia O'Keeffe, Abstraction Blue (1927).

J'espère que quelques lecteurs se reconnaîtront dans cette description d'un quotidien dont je n'observe pas le vécu autour de moi. L'avantage d'être lucide de son entourage, c'est de pouvoir se situer dans leur moyenne, pour le meilleur et pour le pire. J'espère aussi pouvoir élargir le champ de réflexion des personnes sur la différence des vécus possibles. J'aime beaucoup lire les façons de vivre d'autres personnes. On prend souvent pour acquis certains réflexes très basiques, qui ne le sont en réalité pas du tout. Ils témoignent d'une appréciation du monde qui nous est propre, et réaliser à quel point celle d'autrui est toute aussi unique est une réalisation très enrichissante.

Un exemple très simple, l'aphantasie dont je suis touché. Je n'ai pas d'image mentale. Quand on me demande d'imaginer un arbre, je ne vois rien de visuel. Je vois plutôt l'arbre comme un contour où je sais situer les éléments caractéristiques. Je sais que ses feuilles seront vertes, mais l'image est un noir d'encre. Je ne me souviens pas des cartes routières, je ne me souviens pas du visage des gens, j'ai beaucoup de mal à accorder les décorations entre elles si les objets ne sont pas devant moi. Donc ça a été une grande surprise de découvrir que si, quand on demande aux enfants de poser les additions dans leur tête, on leur demande de réellement le faire, ça n'est pas qu'une façon de parler. J'ai réalisé peu à peu tout un ensemble de phrases et de réactions mineures qui prenaient une nouvelle lumière. Par exemple, "il la déshabille du regard" prend une dimension beaucoup plus glauque immédiatement.

J'ai toujours eu une certaine lucidité sur la vie autour de moi, depuis très jeune. Un comportement un peu décalé avec les jeunes de mon âge, des questionnements un peu précoce, toujours du "un peu" tôt, ou "un peu" tard. On trouve une certaine logique chez chaque personne, par la compréhension fondamentale des motivations qui mettent en mouvement les personnes, les intentions cachées derrière des gestes en apparence anodins, les émotions dans un souffle. Il y a tout un champ de ressenti très primitif de l'autre, qui vient créer ce que l'on peut résumer en motif, une sorte de contour dans lequel les personnes y sont comprises 95 % du temps. Les 5 % restantes, elles sortent du motif pour des raisons qui leur sont extra-ordinaires : des colères, des ruptures, des conflits, des surprises… Tout ce qui ne rentre pas dans leur comportement habituel où elles sont à l'aise.

J'ai comme un co-pilote qui voit par mes yeux et entend par mes oreilles. Il capte aussi mes ondes cérébrales, et de temps en temps il m'envoie l'équivalent d'un coup de coude mental pour me montrer quelque chose. Le problème, c'est que je n'ai pas toujours saisi sur le moment ce qu'il a vu, mais je finis toujours par comprendre tôt ou tard.

J'aime mon co-pilote, parce qu'il est incroyablement fort. Il me pompe énergie phénoménale pour travailler en arrière-plan, mais il est toujours là, et il ne se trompe que très rarement. Il n'est pas toujours très clair. Il y a parfois des signaux qui lui échappent, mais il me met un coup de coude une semaine plus tard et la révélation est immédiate. Elle me paraîtra tellement claire en rétrospective. Ça se produit souvent pour des phrases, des gestes, des regards qui m'ont laissé une impression vague, comme une gêne sur le visage, et que j'ai mis de côté dans l'instant. Parfois, je zone complètement hors d'une conversation qui ne m'intéresse pas du tout, mais quand mon co-pilote me demande de réécouter la dernière phrase, j'y vais sans le questionner. Je sais qu'il a raison. Ses méthodes sont le fruit d'une pure intuition dont je ne maîtrise pas le processus. Chaque personne a son propre motif que je dresse "malgré moi" au fil du temps.

Je peux accéder à ce motif. C'est très nébuleux, c'est un ensemble de sensations qui se travaillent. Selon la façon dont j'observe le motif, il me montre quelque chose de différent de la personne. Comme une plante dont je vois les racines, et dont je peux déterminer la position possible de chacune des branches. Ces positions représentent des actions, des émotions, des situations que la personne peut vivre. Tout le contour de cet ensemble en mouvement donne le contour du motif. Une personne peut faire pour la première fois quelque chose de totalement nouveau, mais au regard de son motif, l'action n'a rien de surprenant et est "attendue" dans la personnalité de la personne.

Le monde est globalement simple et banal. L'extraordinaire n'existe que dans des circonstances… extraordinaires. Les gens sont des créatures d'habitudes, en économie d'énergie, et vont tous les jours dans leur quotidien avec la même régularité. Ils sont plongés dans une certaine léthargie d'eux-mêmes, dans une absence de remise en question totale du monde dans lequel ils vivent. Par conséquent, leur comportement s'appuie sur une logique lourde, justifiée par des centaines de journées venues cimenter, peu à peu, un ensemble de réactions automatiques à des stimulations précises. D'où le fait que 95 % du temps, le comportement général d'une personne est d'une habitude attendue. Par exemple, parler d'évènements heureux la fera sourire, sa voix s'accélère sous l'excitation, le regard devient franc et soutenu.

Les 5 % restants sont immédiatement visibles quand on a l'habitude de voir cet ensemble de détails là. Il faut imaginer regarder le même film en boucle pendant 120 heures, quand soudainement, une nouvelle scène défile. Immédiatement, mon co-pilote identifie la nouveauté et s'y précipite avant même que la scène ne se joue. Je ne mettrais le doigt sur l'élément déclencheur que plus tard. Mon co-pilote me fera signe.

Je ne parle pas des 5 % évidents, comme les grandes colères, les tristesses… Je pense aux détails qui témoignent de changements en arrière-plan chez les personnes mais dont elles n'ont pas forcément pleine conscience elle-même. Des mots qui témoignent d'un changement de paradigme dans leur façon d'apprécier le monde, par exemple. Une rencontre qui a laissé une marque étrangère dans leur façon d'être.

Avec la lucidité vient l'ennui. Être capable de voir le monde intensément, c'est aussi être capable de voir à quel point il est banal et répétitif. D'en avoir la certitude gravée dans la chair, un rappel quotidien au cas où l'on essaierait d'y échapper. Il ne se passe RIEN. La vie est un éternel recommencement, les gens n'apprennent pas de leurs erreurs, jouent à des jeux sociaux pour dissimuler les mensonges qu'ils n'osent pas s'avouer, et vivent une routine confortable dont ils parviendraient difficilement à sortir s'ils le souhaitaient.

Inévitablement en réaction, la recherche de l'exceptionnel qui sortira le monde de ce schéma d'un ennui mortel commence. La banalité n'a plus sa place dans une vie qui n'est construite que sur ça. Le nerf de la guerre devient l'unique, le dernier rempart susceptible de susciter un tant soit peu de surprise et un peu de fraîcheur.

Une règle universelle : il ne fait pas bon d'être dans les cinq percentiles extrêmes de la distribution normale des caractéristiques d'une population, qu'il s'agisse de caractéristiques physiques, mentales, culturelles, ethniques… Dans mon cas, la souffrance est une part importante de la vitesse. On ne vit pas au même rythme que 95 % de la société quand on reçoit le spoiler de la saison 3 à la saison 1. Les contreparties de cette hyper-spécificité sont des irritants quotidiens. Avec la vitesse, le ressenti des irritants est démultiplié. Ils prennent immédiatement une intensité qui m'est propre et que je n'observe pas chez les autres autour de moi.

Plus l'on pense vite, plus l'on vit de choses dans la même durée. Le temps est élastique, sa consistance varie grandement selon les personnes, les environnements, les circonstances. Je pense que je vis le temps d'une façon très différente du standard à cause de cette vitesse de traitement élevée. Dans la durée où une question ne semble se poser qu'une seule fois chez quelqu'un, j'ai l'impression de pouvoir la vivre dix fois. Les attentes deviennent impossiblement longues pour moi, là où je n'observe aucune impatience dans mon entourage. Les irritants du quotidien prennent une intensité que seul moi semble vivre car leur répétition incessante et brutale leur donne tout un poids impossible à ignorer. L'usure démarre immédiatement plutôt que dans un mois ou un an. L'usure des choses, l'usure des gens aussi. Quand les faux-semblants deviennent visibles, les comportements acides lucides, les rancœurs révélées, toute sympathie meurt pour les siens. Les cinq sens deviennent une agression. Une intrusion dans un mental hypertrophié.

J'ai l'impression d'être scindé en trois entités distinctes qui cohabitent dans la même enveloppe : mon co-pilote, mon corps, et ce que j'identifie naïvement comme "moi". J'aimerais faire certaines choses, parfois, mais mon corps le refusera, et je ne saurai jamais pourquoi. Mes pensées s'éparpilleront dès que le focus se portera sur la tâche, je tomberai de fatigue, la lassitude sera telle que je deviendrai incapable de travailler plus. J'aimerais côtoyer certaines personnes, mais mon co-pilote rendra impossible la cohabitation. La raison ne sera pas plus claire, en tout cas pas dans l'immédiat. J'ai essayé pendant longtemps de régner en "moi" autoritaire, et le résultat a été un désastre d'une grande douceur. La vie ne donne pas de signal, et quand on est habitué au mal-être, on est incapable de se voir autrement. J'aurais préféré recevoir la nouvelle dans la violence pour mieux la comprendre.

J'ai appris à faire avec. Mes désirs ne sont pas les "miens", j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que je ne me décidais pas, en tant que personne. Je suis ces trois facettes de moi-même à la fois, et j'ai encore du mal à m'habituer à cette impression d'être un navire dont je ne suis plus maître, seulement l'observateur.

Qu'apprendre d'un cerveau tout en vitesse ? Plusieurs détails se distinguent immédiatement, et ne sont pas nécessairement des révélations propres à cet état d'esprit :

  • Les gens sont globalement lents à la détente, et à l'apprentissage. Ils le sont d'autant plus avec l'âge, et refusent petit à petit de changer. Chaque changement prend de plus en plus de temps et d'énergie. On ne convainc pas quelqu'un de changer : il doit le décider de lui-même.
  • Les gens sont prompts à juger que l'on est complètement stupide parce que l'on est déjà à l'étape d'après, mais ils ne le comprendront pas même en leur expliquant car ils ne parviennent pas à sortir de leur hypothèse de départ, qui est qu'ils ont raison.
  • Les stimulations d'une vie quotidienne standard (boulot de cadre de bureau en 08h-18h) sont mortelles pour toute forme d'intérêt à son existence, et il devient impératif de se nourrir en dehors de ce cadre.
  • Les schémas répétitifs deviennent évidents, et certaines évidences me paraissant universelles à l'Homme ne le seront que tard dans la vie de la majorité autour de moi (la vie n'est pas le travail, il ne suffit pas de vouloir être quelque chose pour l'être, ses actions sont désaccordées de ses désirs, le temps est incroyablement précieux, etc.). C'est un désastre, et un gâchis de temps colossal. Mais à chacun de le comprendre, à son rythme.
  • La patience est essentielle, dans toutes les situations, en particulier lorsque l'on ne sait rien de l'autre. Lire vite les situations, c'est aussi traiter vite un grand nombre de détails et se rendre compte de la diversité des personnalités humaines. On ne sera jamais capable de comprendre tout ce qui pousse une personne à être désagréable : il faut prendre l'habitude lorsqu'on est de bonne humeur à prendre patience du comportement des autres, pour garder patience par réflexe lorsque l'on passera par de mauvaises phases.
  • La solitude est corollaire des esprits remarquables. On n'est jamais autant intégré aux siens qu'en étant similaires. La vitesse ne se lisse pas. Il y a toujours quelqu'un qui attend, et quelqu'un qui rattrape.
  • La vitesse n'est pas un facteur de performance. Plus de vitesse permet plus de gâchis, et donc moins d'efficience. On peut se le permettre. En étant plus lent, l'incitation se porte sur "la bonne pensée".
  • Penser est un gâchis d'énergie. Il y a peu de sujets qui méritent réellement d'être réfléchis, la plupart méritent simplement d'être ressentis, non verbalisés, et rester de l'ordre de l'intuition pour libérer de la bande-passante. L'efficience est une garantie de bien vivre, pour éviter de s'auto-parasiter, et s'auto-gâcher la vie.
  • Penser vite est jouissif. La discussion devient une affaire intellectuelle particulièrement agréable. Rencontrer une personne capable de faire face à cette puissance de calcul est toujours une surprise chaleureusement accueillie.
  • Les discussions sont une affaire de synchronisation en termes de vitesse. La progression de la discussion, la compréhension des sujets échangés, l'escalade des échanges sont autant de paramètres de confort dépendant du bon timing pour apporter les éléments sur la table. Il y a une certaine précision musicale dans ces échanges.
  • De nombreux détails prennent une couleur qui m'est propre. Je m'en rends compte en échangeant avec mes proches. C'est loin d'être exclusif au cerveau en vitesse ; simplement, le lien entre vitesse et synesthésie est particulièrement clair pour moi. Être capable de capter une grande quantité de détails à la fois transforme cette masse impossible à appréhender élément par élément vers un ressenti primitif de la perception. Un résumé perceptif qui change de forme selon l'angle sous lequel on le regarde. La lecture d'une situation sort complètement de la science rigoureuse, et entre dans un champ d'exploration dans lequel les règles changent constamment, et où l'on a toujours à apprendre de soi-même, pour savoir lire ce que l'on ressent.
  • Les dérapages sont fréquents. L'avantage d'un petit véhicule, c'est que même en voulant drifter, ça va être difficile. L'intensité avec laquelle je vis les choses fait que je prends appui sur un extrême pour sauter vers le prochain. Je pense aux dérapages émotionnels, agacement, et rages diverses. Savoir identifier que l'on dérape est important.
  • Le piège de la vitesse, c'est d'y prendre goût. À la fois de se reposer dessus, et aussi de vouloir toujours aller plus vite. La vitesse ne peut rester un réflexe. Elle doit être un outil choisi pour sa spécificité, pas une force dégainée par défaut dans n'importe quelle situation (Quand on est un marteau, tout ressemble à un clou). De même, le cerveau en vitesse doit absolument savoir ralentir. Savoir se concentrer sur l'essentiel, la pensée juste et nécessaire, et écrémer le reste.
  • Il est essentiel de pouvoir compter sur les gens autour de soi, qui puissent tolérer les sorties d'honnêteté un peu brutale et accepter que l'on ne jouera à aucun jeu d'esprit avec eux.
  • Être bon avec soi. Penser vite, c'est avoir du temps en rab pour se flageller un peu plus souvent. Attention aux mauvais réflexes de haine de soi.

À penser trop, je pense qu'un équilibrage vers du "moins" se fait naturellement. Tout comme les gens qui dans leur jeunesse ont eu beaucoup de partenaires sexuels différents, et prêchent souvent plus tard la beauté de la monogamie et de l'engagement. Ce passage est nécessaire pour comprendre ce qui est nécessaire à soi. Trop penser, c'est être envahi constamment d'observations, de prévisions, de doutes, d'un bruit constant qui même s'il est toléré avec l'habitude vient consommer une énergie qui pourrait être conservée pour autre chose. Quand on a une Lambo dans son garage, c'est difficile de résister à l'envie de la sortir sur une piste pour l'envoyer à fond en ligne droite. Idem pour le cerveau, quand il y a les chevaux, le réflexe, c'est de les utiliser.

Donc ne pas le faire est complètement contre-productif, non intuitif. Quand on est capable de beaucoup, le plus difficile est d'accepter de ne rien faire. On a l'impression de pouvoir aller plus vite, plus loin, de voir des opportunités manquées qui sont en réalité des mirages. Or si l'on est sur les jantes, on ne va nulle part. L'important à mon sens dans la vie, c'est de bien vivre. Les objectifs que l'on fixe pour soi-même sont dangereux car ils ne seront jamais satisfaisants. Une fois qu'on y est, il n'y a aucun sens d'accomplissement, on atteint ce "C'est tout ?" fatal, et l'on pense déjà à comment continuer à avancer sans apprécier où l'on est arrivé.

Comment bien vivre avec un cerveau en vitesse ? Avec un cerveau tout court ? Je me questionne souvent si ce que j'implémente pour m'équilibrer moi-même pourrait apporter quelque chose à une personne qui me serait opposée, plutôt dans le lâcher-prise et le "trop peu" d'activités par rapport à ce qu'elle voudrait faire. Peut-être que ces personnes-là ont au contraire besoin d'aller tracer en ligne droite avec leur bolide cérébral. Dans mon cas, je suis tombé amoureux de la vie lente et de tout ce qu'elle implique pour moi, ma vie, mon rythme, et mon équilibre dans cette vie.

La vie lente, c'est une forme d'existence qui s'appuie sur un rythme à taille humaine. On oublie le rush des transports, les échéances, la course folle de la technologie, le besoin irrépressible d'accumuler le plus grand nombre sur son compte en banque. Il n'y a aucun mal à vouloir faire chacune de ces activités, mais dans le cadre de la vie lente, l'obsession pour ces choses n'existe pas. C'est reprendre sa vie et son temps pour soi, avant tout. J'aime me dire que c'est un rapprochement au rythme que pouvaient avoir nos ancêtres, vivant des vies avec tellement moins de surprises et d'informations au quotidien. Des quotidiens à échelle humaine, justement, avec moins de complexité.

La rat race moderne me dégoûte profondément. C'est une broyeuse à être humain, peu importe les domaines dans lesquels elle s'applique : l'apparence, la popularité, la carrière professionnelle… Je ne peux pas concevoir que les personnes déterminées à mourir sur cette colline vivent bien au quotidien. Elles affirmeront sincèrement que c'est le cas, de la même manière que j'affirmais m'accepter pleinement au moment où c'était le moins le cas. Je m'inquiète du stress qu'elles s'infligent et qu'elles considèrent comme la rançon du succès. Je ne vois aucun monde où l'on peut vivre sereinement en vivant de cette manière, et je pense que c'est un mensonge que l'on se raconte à soi-même en prétendant le contraire. Peut-être que je me trompe.

Je me rends compte que pour ralentir ma vie, j'ai besoin de me dissocier de la technologie. Je fuis tous les trous noirs dans lesquels le temps jeté ne ressort jamais. Je ne tire rien des réseaux sociaux, par exemple. Le téléphone est aussi un ennemi, sa seule présence sur moi allume une ampoule dans mon crâne qui ne s'éteint jamais. Je deviens joignable, disponible, capable de lire n'importe quoi sur l'Internet. Les évènements sociaux deviennent aussi souvent un stimulus indésirable, et les rencontres ne sont plus vraiment un choix, mais une affaire de budget avec mon niveau d'énergie disponible sur l'instant. J'ai appris à ne plus croire que je peux vivre sainement avec moi-même en finissant en déficit, même une seule journée.

Globalement, tout ce qui est achetable par l'argent n'est pas un bon objectif. On ne peut pas s'acheter un corps entretenu et taillé par l'exercice. On ne peut pas acheter la créativité et sa propre capacité à s'exprimer. On ne peut pas s'acheter une tranquillité d'âme. Toutes ces choses un travail personnel qui prend du temps et qui ne peut pas être accéléré par un moyen extérieur. Je trouve que c'est un excellent critère dans ma vie pour trouver toutes ces choses qui m'apporteront quelque chose, car elles touchent précisément ce qui me fait, moi. Et elles demandent précisément de ralentir pour être apprises. Tous les arts méditatifs trouvent naturellement leur place dans la vie lente, pour se ralentir exprès. La méditation, les sports d'endurance, les formes d'arts permettant d'atteindre l'état de transe et d'oublier ce qui nous entoure. Peut-être que certaines personnes trouvent cet état chez quelqu'un, ça ne m'arrive que rarement. Lorsqu'il se produit, je sais que c'est un signe à suivre. Pour moi, ce sont les projets d'écriture qui m'apportent une étonnante paix intérieure en me permettant d'explorer profondément mes ressentis. Il y a une vraie catharsis dans le fait de matérialiser ses points durs.

Une liste d'activités lentes que j'apprécie inclut :

  • Marcher dehors sans téléphone ni musique (concept de thinking path)
  • Méditation
  • Télécharger des albums de musique et les écouter (vs. se laisser porter par un algorithme de suggestion d'écoutes, choisir ce que l'on écoute/lit/joue/partage donne du sens à la pratique)
  • Lire
  • Trier mes affaires et résister à l'envie de toutes les jeter
  • Écrire
  • Cuisiner
  • Exercices de respiration (box breathing)
  • Ne rien faire, allongé dans un lit, sur un fauteuil, sur une terrasse au soleil. Laisser mes pensées jouer entre elles.

Je suis loin d'être un moine. Mon quotidien n'est pas une liste d'activités encourageant l'introspection. Je suis simplement convaincu que l'absence d'activité doit trouver sa place dans le quotidien de chacun. L'activité fiévreuse qui anime les gens autour de moi les rend incapables d'être seuls avec eux-mêmes. C'est le seul signe extérieur que j'ai d'eux. Qu'est-ce que cela implique profondément en eux, et dont je n'observe que la surface troublée ?

J'encourage chacun à faire attention à ses pratiques, au quotidien. En tant qu'être humain, nous ne sommes que des créatures d'habitudes. Ce sont ces habitudes qui nous définissent chaque jour, qui nous modèlent peu à peu à leur image, qu'on le veuille ou non. Croire que les séries que l'on regarde n'ont aucun impact sur soi est une erreur. Tout comme le sport aura un effet sur son physique, tout ce que l'on observe autour de soi touche à l'esprit. Je ne prétends pas qu'il y a de meilleures activités que d'autres, mais simplement que chacun d'entre elles mérite d'être étudiée pour bien comprendre la place qu'elle a pour soi, et si elle correspond à la direction que l'on aimerait avoir pour soi-même. Je ne sais pas ce que c'est de vivre sans direction, je pense que c'est important d'avoir cette vision de soi pour comparer son quotidien à celui que l'on aimerait avoir. Sans cela, il me semble impossible d'aiguiser son esprit critique sur soi-même.


D'autres portraits de personnes aux arêtes saillantes, et qui m'ont touché chacun à leur manière (articles en anglais) :

  • ADHD | Gekk

    Le récit personnel du vécu du trouble de déficit d'attention et hyperactivité de l'auteur. La difficulté de s'accepter, et de comprendre que sa vie ne sera pas celle que l'on souhaitait. De nombreux traits communs avec la difficulté d'accomplir une tâche qui me repousse.

  • Too Much of a Good Thing: What Mania Feels Like – Liam Rosen

    Le récit personnel des épisodes maniaques de l'auteur, et de ses nombreux symptômes. La vitesse de traitement qui devient incontrôlable. Des atomes crochus avec mes dérapages.