Vitesse des interactions en société - Diagramme de réflexion de l'impact de l'augmentation de la vitesse des échanges et l'incitation à retirer la capacité d'agir à la population pour perpétuer une société technologique
Je me suis toujours pensé intellectuel. Que mon décalage avec le monde donnait à mes pensées une saveur unique qui méritait d'être goûtée. Finalement, que moi-même, à travers elles, je méritais d'être goûté, aussi.
Je voulais écrire un long texte argumentatif sur la place du contrôle dans ma vie, l'impact de la société moderne sur nos vies. J'essaie différentes choses, j'ai pris mon dictaphone pour dire ma pensée, et essayer de l'étayer de façon plus organique.
Mais ça ne fonctionne pas. Moi-même quand je relis mes transcriptions audio, je n'aime pas ce que je lis. Ça ne m'intéresse pas moi-même. Surtout à l'oral, tout ce que je dis ne colle pas, ça n'a pas d'impact. Rien n'est percutant. Je n'aimerais pas lire ce que je dis, ou ce que j'écris. À vouloir trop en faire, je n'ai ni la subtilité que je souhaiterais dans l'explication, ni la trace que j'aimerais laisser dans mes mots. Pour autant, sur ce qui touche à l'humain, je m'y sens bien, dans mes duretés comme mes douceurs. Je pense aussi qu'être incapable d'expliquer un sujet simplement, c'est généralement qu'on ne l'a pas encore bien compris.
Peut-être que je ne suis simplement pas un penseur. Je crois que je n'ai rien à dire. Je n'en suis pas capable, et ça ne m'intéresse pas moi-même. Mais cette inertie de mon enfance, dans le fait d'être bon élève de prouver une supériorité intellectuelle, de devoir me prouver à travers les autres que je mérite d'être entendu, ne me quitte pas. Elle me colle à la peau. J'aimerais me sentir suffisant tel que je suis, mais ce n'est pas le cas. Je suis à la merci de mon auditoire fantôme qui n'est en réalité que mes yeux sur moi-même. Je n'attends pas de validation extérieure, mais j'aimerais être à la hauteur de ce que j'envisage pour moi-même.
Objectivement, je sais que ce n'est pas le cas, mais subjectivement, je n'y arrive pas. Si l'on m'entendait dans la vie de tous les jours, on ne reconnaîtrait pas ce que j'écris ici. Ma vulnérabilité est là, dans cette angoisse dans le fait de parler de moi. La solitude, c'est peut-être aussi une façon d'éviter cet inconfort-là. Je crois que je dois arrêter d'expliquer quoi que ce soit, ou le faire avec parcimonie. Peut-être y revenir plus tard. Mais ma sensibilité semble dévorer tout le reste. La fraîcheur de la logique me ressemble de moins en moins. Je crois atteindre un mur. Je dois faire les choses différemment. Je n'ai pas besoin d'hyperboles, ou de longues phrases pour expliquer un concept. Rester sur le plus simple, avec des mots simples. Rien besoin de prouver. Aller à l'essentiel, même si c'est parfois frustrant.
Cette conclusion ne me surprend pas non plus. Tous les auteurs qui m'ont saisis sont doués d'une grande sensibilité, à fleur de peau parfois. Thomas Mann, Hermann Hesse, Stefan Zweig. Je suis toujours attiré par ça, dans les livres, dans la vie aussi. Je ne peux pas vivre avec quelqu'un qui ne comprend pas ce qu'il vit.
Me dire que je n'essaierai plus de pousser dans cette direction… me soulage. Cet effort nerveux que je me force à faire n'est pas évident dans l'action, mais se ressent par son absence. Je dois juste aller vers ce qui me semble juste, sur l'instant.
Je suis dans le doute concernant mes envies de partage, mon audience inexistante dont je subis le regard fantôme. Plus je parle de mes arêtes tranchantes, plus je sais être clivant, et toucher du doigt les réactions que j'aimerais entendre. Mais ce côté droit au but est difficile à atteindre avec la subtilité que j'aimerais avoir.
Une amie s'est décrit comme "émotionnellement gourmande", terme que j'aime beaucoup. Je l'emprunte pour me décrire, maintenant. Si je ne mange pas, je m'atrophie, je m'attriste, et je lutte contre des ennemis qui n'existent pas. Je parle de mon expérience dans l'espoir que moi il y a 10 ans puisse tomber sur ce que j'écris. J'aurais aimé pouvoir lire que quelqu'un comme moi existe. Ne pas être seul dans mes difficultés. Pour enfin recevoir de l'aide, même d'un étranger. Surtout d'un étranger.