Existential Chris un farfouillis perso

Mon âme déchaînée sous kaléidoscope

En fin d'année dernière, j'ai fait le pari avec des amis pour rire que je devrais atteindre "au moins une paix" d'ici fin 2024, avec l'idée que j'étais en négatif au moment je prononçais ces mots. C'était une blague en public, pas vraiment en privé. Je savais que 2024 serait l'année des souffrances, l'année de la transformation forcée, l'année du Big Bang. Celle de la destruction, et de la création.

Je vis mon quotidien comme si de rien n'était, et parfois je réalise dans un moment de lucidité la difficulté de mon esprit qui est une tempête, constamment. Je ne vois pas cette agitation permanente chez les personnes autour de moi. Malgré moi, j'écris ces mots. Je suis incapable de ne pas parler de "l'autre". Je suis toujours dans une opposition face à quelqu'un d'autre, dans une rancoeur contre le monde, dans la douleur de me savoir exclu d'un lien dans lequel je ne sentirais pas mieux pour autant.

Je suis incapable de laisser passer cette colère qui revient à chaque fois, qui transpire dans tout ce que j'écris. C'est mon poison, c'est ma rage qui me hurle d'être différent, qui me hurle d'être normal. Je n'arrive pas à en lâcher prise, ma vie n'est qu'un écartèlement entre des extrêmes qui ne peuvent pas se réconcilier. La tempête qui fait rage en moi s'alimente des évènements de ma vie, des portes qui se ferment, des possibilités qui s'affirment, du désir qui prend possession de mon futur comme si ça n'était que l'affaire d'un instant. J'ai peur de lâcher-prise et de blesser ceux qui me seront proche d'une façon ou d'une autre. J'ai peur de mes propres désirs et d'entraîner l'autre, celui que je veux, celui dont je m'impatiente, dans mon chaos.

J'ai peur de mon propre pouvoir sur les miens, de ma capacité à traîner l'autre dans le trou noir de mon désir, de le faire plier à une volonté qui m'échappe. J'ai peur de l'avenir dans lequel mes choix ne sont pas les bons, et je devrais faire face à moi-même, à la fois juge et accusé, mais la victime, elle, ne verra aucune lumière de l'issue, quelle qu'elle soit.

Je ne comprends pas comment vivre ainsi. La lucidité sur ses propres pulsions, la lucidité sur sa capacité à jouer émotionnellement sur l'autre, celle d'être son propre tyran. J'ai tellement peur d'obtenir ce que je désire. Je crois que j'ai peur d'être heureux, j'ai peur d'en prendre le risque et de risquer l'annihilation qui me ravagera avec la fureur de mille soleils. J'ai besoin d'affirmer ce que je souhaite pour avancer et arrêter de m'écraser devant le souhait d'autrui. De faire valoir ce qui m'est nécessaire pour être bien avec moi-même, pour être moi-même. J'ai peur d'être moi-même.

L'admettre, admettre que l'on m'a compris, me laisse le sentiment d'une confession honteuse lâchée du bout des lèvres. L'idée me met très mal à l'aise. L'idée d'être vu, de n'avoir plus rien pour se cacher derrière. L'écriture remplit un peu ce rôle pour moi, m'obliger à assumer des positions qui m'ont paru vraies au moment où je les ai écrites, et me refuser à revenir dessus ensuite. Mes textes mettent seulement en évidence à quel point la malléabilité de ce que je suis est une nouvelle paire d'yeux chaque moment, qui voit le monde selon un camaïeu qui lui est propre, et en désaccord avec la prochaine. Mes désirs, eux, resteront les mêmes, mais leur plaisir et leur douleur prendra une infinité de nuances qui me surprennent à chaque fois.

C'est l'immensité qui me ravage, celle que je sens à l'intérieur de moi et que je ne parviens pas à maîtriser. Je sais que la réponse sera que je n'ai pas besoin de la maîtriser, mais je ne comprends pas comment m'aligner avec un cœur dont la violence me terrifie. J'ai peur de moi-même et de tout ce que j'implique pour ma propre vie.

J'ai toujours retenu ce passage du Comte de Monte-Cristo auquel je me raccroche nerveusement au milieu de mes orages intérieurs :

Il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité.

J'espère naïvement que les tumultes que je ressens sont la promesse d'un bonheur futur qui me brûlera les yeux. La chute, elle, me terrifie tant que je me sens hypersensible à chacun de ses crocs. "Quand on n'a pas d'imagination, mourir c'est peu de chose, quand on en a, c'est trop.". Est-ce que je suis fou ? Est-ce que tout le monde traverse ce que je traverse, mais je suis la seule âme torturée qui ne parvient pas à franchir cet abysse dont mes yeux ne parviennent pas à se détacher ?

Même le sens de ce que j'écris m'échappe. J'ai l'impression de lancer une bouteille à la mer dans une immensité qui échappera au regard du plus attentif. Mon propre désir me brûle les doigts.

J'ai l'intuition profonde que ma paix n'aura rien d'un océan calme, mais aura la poésie d'un orage dont les vents chanteront une symphonie qui accompagnera les vagues en fracas sur les rochers. J'ai peur de mon propre feu, je continue d'ouvrir la valve peu à peu, mais ce besoin ne désemplit pas. J'ai l'impression que la faim me consumera toute entière, mais que je mangerai quand même jusqu'à l'écœurement. Je ne sais pas quoi faire de ces vents qui m'agitent en des sens contraires et de mon désir comme une lance au milieu du champ de bataille. Mon engagement est total et absolu dans cette immensité qui me dévore. Je ne suis pas attaché à ce que je suis. Est-ce que mes os survivront au festin ? Je souffre de la fureur de ma vie, mais je n'échangerais ma place avec personne au monde. Je déchirerai mon âme en lambeau avant de laisser quoi que ce soit poser le doigt dessus.